Le concert du 9/08/…
 
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Le concert du 9/08/2010 à Lorient vu par l'écrivain Laurent

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Le concert d’août 2010 d’Alan Stivell au Festival interceltique de Lorient 
comme un retour aux sources et une promesse 
 
 
par Laurent Bourdelas, écrivain (pour RCF) 
 
 

            C’était en 1973, sans doute, dans une rue pavée de Saint-Goustan – le vieux port d’Auray – où mes parents et moi, Limousins qui tombions insensiblement amoureux de la Bretagne, nous promenions. Dans un magasin de faïences quimpéroises aujourd’hui disparu, nous entendîmes le désormais internationalement célèbre Tri Martolod, et d’autres plages de l’album mythique enregistré un an auparavant à L’Olympia. Celui de la révélation et de la consécration pour Alan Stivell, dont la renommée dépassait désormais la communauté bretonne pour embraser la France. J’avais onze ans et je découvrais en même temps, grâce à lui, la culture bretonne et celtique, le phénomène « régional » qui m’avait échappé jusque là malgré l’engagement d’artistes occitans dans ma région – mais j’étais encore jeune ! –, la harpe, le folk et le rock ! Au Noël suivant, mes parents m’offrirent ce fameux disque (en vinyle), que je ne cessais pas d’écouter jour après jour en attendant mes prochaines vacances à Port-Louis, dans le Morbihan. Et puis il y eut l’album à Dublin, puis un mémorable concert en plein air au stade du Moustoir, dans les premières années du Festival interceltique – mon premier concert par ailleurs. Bien avant Pink Floyd, bien avant de découvrir les Beatles (séparés) ou les Stones, bien avant d’aller assister aux concerts de Trust ou de Téléphone, de Supertramp ou de Bob Marley, il y eut donc Alan Stivell. C’était un temps de festoù-noz, de cheveux longs, de grandes chemises blanches et de sabots – mon père me fabriqua le même grand triskell que mon chanteur préféré, avec des clous de chevaux ; la France redécouvrait ses racines, longtemps interdites – pour reprendre un livre d’entretien avec le chanteur paru dans ces années-là. Je me mis à découvrir cette riche culture, l’histoire de la Bretagne, celle des Celtes – si peu enseignée à l’Ecole et lors de mes études d’histoire –, les combats menés pour cette reconnaissance. C’était le temps où je lus à la fois Le Cheval d’Orgueil de Per Jakez Hélias – qui tomba, pour mon plus grand bonheur, en sujet de français lors de mon B.E.P.C. ! – et Le Cheval couché de Xavier Grall. Un temps où je découvris les autres musiciens, les autres écrivains, les autres poètes – comme Paol Keineg dont Stivell chanta le magnifique Homme lige des talus en transe : « Je m’éveille
Et je m’assois sur les talus limpides
Et je m’installe sur la fesse des montagnes de laine
Et je compte
Et je compte
Las de l’exil
J’approche de la table, le banc
Et à la clarté des couteaux
Je laisse plonger en moi les racines du pain ».
Ce fut le temps de la mobilisation contre l’implantation d’une centrale nucléaire près de la Baie d’Audierne, des pointes du Raz et du Van, près de la Baie des Trépassés. Un temps de poings levés. J’écoutais la bouleversante Symphonie celtique du chanteur…
            Et puis je m’aperçus que les liens entre ma Bretagne d’adoption et mon Limousin natal et familial étaient nombreux, tangibles ou plus subtils : ce sont pays de pierre granitique, de pluies et d’éclaircies, de bruyères, de bonnes fontaines et de saints très particuliers, comme le montra Anatole Le Braz. Je compris que mon Plateau de Millevaches était une vieille terre celtique. J’entendis que la cabrette était bien proche du biniou ou de la cornemuse. J’appris aussi que la vicomté de Limoges avait appartenu à la famille de Bretagne… Et que l’un des plus actifs éditeurs de poésie bretonne (de Saint-Pol-Roux le Magnifique, par exemple) était le limousin René Rougerie[1]. En 1999, alors que l’Erika s’était cassé en deux au large de la Bretagne, je partis sur l’Île de Groix pour tenter de sauver quelques oiseaux mazoutés ; Stivell allait bientôt s’en prendre à Ceux qui sèment la mort. Libération titra : « Le capitalisme nous emmerde ».
 

¯ 
 
 

            C’est dire si, avec tout ce background, j’attendais avec impatience ce concert d’Alan Stivell, le lundi 9 août 2010, à la veille de ma fête ; je l’espérais bien comme un cadeau et je ne fus pas déçu. Après une double première partie avec le Bagad de Lorient – qui réussit à porter les couleurs du terroir vannetais au meilleur niveau des bagadoù – et la très belle Chorale du Bout du Monde – fondée en 1977, elle rassemble aujourd’hui plus de cent choristes et une dizaine de musiciens originaires du Nord-Finistère, tous attachés à la langue bretonne –, le musicien et chanteur a donné un beau concert de deux heures, entremêlant les compositions issues de son nouvel album, Emerald, et nombre de ses propres standards, devant un public conquis. En ouverture, il a émis le vœu que ce concert dans le cadre du 40ème anniversaire du Festival interceltique – festival au succès duquel il a très largement contribué – soit à l’origine d’une « nouvelle vague celtique », ce que l’on souhaite ardemment avec lui, car il semble que les nouvelles grandes « figures » de la musique celtique, et bretonne en particulier, après la génération des Stivell, Tri Yann, Servat, Dan Ar Braz, Kemener ou Erik Marchand, tardent ou ont des difficultés à émerger – on ne peut que regretter, d’ailleurs, le fiasco de TV Breizh, qui avait pour projet de diffuser largement cette nouvelle scène et se contente aujourd’hui de passer des vieilles séries américaines. Il est vrai cependant que l’on annonce un nouvel album de Denez Prigent, qu’on nous dit que les musiciens sont au travail, il est vrai encore que l’on aime les créations de Pascal Lamour, l’electro-shaman.             Dès sa brillante prestation, la Chorale du Bout du Monde avait insufflé l’esprit de cette soirée mémorable devant une salle comble, en chantant « Ar Chas Donv’yelo Da Ouez » (« Les chiens redeviendront sauvages »), ancienne chanson de Stivell appelant à la révolte des humbles et des Bretons longtemps humiliés… le moins que l’on puisse dire, c’est que ce beau concert – l’un des meilleurs du chanteur que j’ai vus – a prouvé que le temps de Bécassine était depuis longtemps oublié : affirmation décomplexée de la tradition revisitée par le rock ou l’electro, appel au maintien de la langue (« Brezhonneg Raok » proposé en karaoké sur écran géant !), paroles universalistes (« Brittany’s – Ar Bleizi Mor »), hommage réaffirmé au chef irlandais Brian Boru, passage d’une langue à une autre pour illustrer le grand métissage celtique, mais aussi passage d’un instrument à un autre qui nous rappelèrent qu’Alan Stivell est avant tout un multi instrumentiste brillant (harpe plantée au-devant de la scène, cornemuse, bombarde…), complaintes gaéliques ou an dro accompagnés par une excellente formation – mais aussi par le retour du bagad de Lorient et la chorale –, ont émaillé cette soirée magique entre retour aux sources (c’est bien le moins quand on a pris Stivell pour pseudonyme…) et promesse(s) d’avenir. Après avoir enchanté le public composé d’au moins trois générations, le chanteur imperturbable et comme ayant échappé au temps a conclu par un Tri Martolod décalé entre ultra-rapidité et jazz-rock époustouflant et un émouvant Bro Gozh Va Zadou – revendiqué comme hymne breton :
O Bretagne, mon pays, que j’aime mon pays!
Tant que la mer te sera une frontière,
Que mon pays soit libre!
L’occasion pour le chanteur qui chanta jadis « Délivrance » de revendiquer pour la Bretagne un statut particulier, comme celui des autres pays celtiques.
            Tout au long du concert, je me pris à penser que les âmes de Jord Cochevelou, le père d’Alan, qui fut à l’origine de la renaissance de la harpe celtique, des Sœurs Goadec et même de Xavier Grall – qui avait vécu le concert à l’Olympia comme le début d’une reconquête – et de certainement bien d’autres, accompagnaient avec bienveillance ce beau moment.
 

            De retour en Limousin, le 15 août 2010.
 

           



[1] En 2010, peu de temps avant sa mort – à plus de 80 ans – en Bretagne où il distribuait ces livres, celui-ci édita les œuvres poétiques complètes de Xavier Grall, ce que n’avait fait aucun éditeur breton.

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Posté : 04/09/2010 5:53 pm
 alan
(@alan)
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merci !

juste une observation cf la génération des Stivell, Dan ar braz, Servat: ce n’est vrai que pour l’âge, pas pour le rôle de chacun.

De ce point de vue, nous sommes d’abord deux: Glenmor et moi.
Puis, nous deux, donnons envie à certains de nous suivre: Servat, Kirjuhel, Kergiduff, Maripol, Gweltaz Ar Fur, etc, ainsi que d’autres en Occitanie.

Pour la plupart des autres, c’est ma démarche perso qui les incitent à se lancer à leur tour par la suite: An Triskell, Tri Yann et (plus tard) Dan Ar Braz. Youenn Gwernig, même s’il était bien plus âgé que moi, n’a pu participer qu’après à cette mouvance précédemment lancée.

Il est important de communiquer la chronologie, car sinon qui en informera les jeunes?

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Posté : 11/09/2010 2:52 pm
(@import)
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Parfaitement d’accord!

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Posté : 11/09/2010 3:37 pm
(@import)
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Alan, juste une question: quel est votre propre sentiment par rapport à Xavier Grall?

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Posté : 11/09/2010 3:37 pm
(@import)
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Tout à fait d’accord avec ce qui a été dit jusque là.

Je suis intéressé aussi par une réponse d’Alan à la question ci-dessus de Laurent, car je suis moi-même en ce moment en train de lire un livre sur Xavier Grall, et en parallèle je lis également le livre Comme peut-on être breton, essai sur la démocratie française, de Morvan Lebesque. Et j’aimerai donc aussi savoir ce vous pensez de Grall, et pourquoi pas de Lebesque par la même occasion.

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Posté : 11/09/2010 5:26 pm
 alan
(@alan)
Membre Moderator Registered

Je vous répondrai sur Xavier Grall et Morvan Lebesque. J’ai bien aimé Xavier Grall en tant que personne, je l’aime comme écrivain, de même que « Comment peut-on être breton ». Mais il me faudra plus de temps pour vous dire pourquoi.

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Posté : 11/09/2010 8:12 pm
(@import)
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Voilà de quoi compléter avec le sourire mon article ci-dessus… mon 1er album, à Noël 73… ! Smile

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Posté : 13/09/2010 9:20 pm
(@import)
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bonjour
je suis  nouveau sur le forum
je suis très intéressé par la pertinence de vos propos et l’article du dernier concert d’Alan
hélas pour moi j’habite à Perpignan et ce n’est pas simple de conjuguer travail, musique et vacances pour être disponible au mois d’août
mais je ne perds pas espoir j’y arriverai
en ce qui concerne Xavier Grall  j’ai adoré « Africa blues », j’ai découvert « allez dire à la ville » avec Dan et j’ai trouvé cette poésie pleine de force de vigueur séculaire,
je me permet d’ailleurs actuellement de reprendre ce texte avec mon propre groupe sur une musique très différente de celle de Dan
quant à 1973 c’est l’année de la découverte pour moi d’Alan et aussi de mon premier album « chemin de terre » inoubliable…

http://www.myspace.com/bigbangdream/
http://quadra2.free.fr/

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Posté : 19/09/2010 12:50 pm

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