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LA HARPE CELTIQUE CHEZ LES BRETONS


 alan

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QU’EST-CE QUE LA HARPE CELTIQUE, QU’EST-CE QUE LA HARPE BRETONNE ?
Extraits du livre « Telenn, la harpe bretonne »

Ici differents passages me paraissant significatifs

PETITES HARPES QU’ON JOUE CELTIQUEMENT

Même s’il n’y avait aucune différence entre les petites harpes construites dans les pays celtes et celles qu’on pouvait trouver en France ou ailleurs, on pourrait parler de harpes celtiques. Je m’explique.
Dés lors qu’on joue de la musique celtique sur une petite harpe, on est en droit de parler d’une approche celtique de l’instrument ; et il est plus simple de dire “ harpe celtique ”.
Cette logique peut s’appliquer plus localement à “ harpe bretonne ” et “ musique bretonne ”.

LA PERMANENCE CELTIQUE DANS L’EUROPE EN VOIE DE CHRISTANISATION

Les Celtes ont directement reçu l’influence du Christianisme et des cultures méditerranéennes.
Un mouvement de flux inverse s’est opéré en repartant de l’Irlande pour se répandre jusqu’en Allemagne du Sud, en Suisse et en Italie du Nord (les moines celtes se sont donnés pour mission d’évangéliser l’Europe).
Tout montre à quel point, tout en synthétisant ces nombreuses influences, l’élément celtique est resté central dans ce métissage.
Le respect absolu des textes sacrés ne les empêche pas d’ajouter dans la marge des pans entiers des mythologie et littérature celtiques, quelquefois même de médecine, ceci en Gaélique et en Brittonique.
Leur religion, elle-même, a pris autant de liberté avec les modèles que les distances sont longues, y mettant une bonne dose de druidisme et autres atavismes.
Il est impossible d’imaginer que, construisant un instrument de musique, ils auraient reproduit sagement des modèles que des étrangers auraient bien voulu leur présenter !….
Ces harpes, qu’ils construisirent, sûrement au début du 9ème siècle, sans doute avant, l’étaient d’abord avec la diversité des talents et des besoins de chaque moine, puis de chaque luthier, mais aussi avec des tendances communes et propres aux Celtes chrétiens.
Ce sont eux, ces missionnaires, qui ont propagé en Europe leurs petites harpes, déclinaisons celtiques de la harpe européenne.

LUTHERIE CELTIQUE, LUTHERIE BRITTONE ET BRETONNE

Il est vrai, les représentations ne montrent de la lutherie globale des petites harpes européennes (avant les dérivations gaéliques et gothiques), que des données générales assez interchangeables quel que soit le lieu.
Brittons et, plus localement, Bretons ont forcément apporté des nuances.
Des preuves matérielles limitées ne peuvent mener à la conclusion, aberrante pour l’esprit logique, que des particularités musicales et esthétiques n’induiraient aucun changement dans un domaine et un seul, celui des instruments de musique…
Il faut rappeler que les restes d’instruments de musique de ces époques dans nos pays, sont totalement ou quasi inexistants. Ce n’est pas un fait particulier aux harpes (important à signaler pour des conclusions trop hâtives…).
L’absence de vestiges retrouvés en Bretagne, comme leur quasi absence en Irlande, n’amènent pas à conclure à des témoignages mensongers de l’image et de l’écrit qui, heureusement, nous éclairent quelque peu, si on veut bien s’y attarder.

CE QU’EST UNE HARPE CELTISÉE, CONCRÈTEMENT

Par exemple, la propension pour la courbe fait évidemment préférer la colonne courbe à la colonne droite. La sophistication celtique, dans l’ajustement des courbes et les proportions complexes, fait mieux comprendre la harpe “ Brian Boru ”. Mais, même si on n’a guère de détails, les formes générales des harpes européennes plus anciennes basées sur des alliages de courbes et contre-courbes sont plus proches de l’esthétique celtique que des arts germaniques ou latins.
L’art gothique, si on se réfère aux “ définitions “ de l’art celtique, montre qu’il lui doit beaucoup. On peut le dire de la harpe dite “ gothique ” sans vouloir la prétendre nôtre.

LES REPRÉSENTATIONS APPROXIMATIVES HIER COMME AUJOURD’HUI

Les représentations artistiques d’instruments de musique, jusqu’à nos jours, ne sont que des indications approximatives (parfois fantaisistes : orientation des cordes, par ex.) .
Quelle est la proportion de dessins de binioù ou bombarde indiscutables encore aujourd’hui (paquets de beurre, de lait, de crêpes) ? Or, chacun sait que la bombarde est bretonne parce que les Bretons en jouent dans des styles propres, mais aussi parce qu’ils ont modifié, dans des détails subtils (que ne remarque pas forcément le profane) l’instrument à anche double, dont on voit des variantes de la Chine à la Catalogne, en passant par la France médiévale.
Que diraient de futures générations des dessins de bombardes ? Aucune particularité !
Penserait-on que le Moyen Age était plus rigoureux que l’esprit moderne ?

LES DIFFERENCES IDENTITAIRES N’ÉTAIENT PAS MOINS FORTES IL Y A MILLE ANS…

Autre observation : nous sommes au XXIème siècle. Les Bretons reçoivent de l’extérieur une dose d’influences énorme et intensive : culture française, mais aussi bien d’autres.
Les caractères propres sont très très dissous, et ce qui en reste tient du miracle.
Et que peut-on remarquer ?
La différence musicale bretonne est une évidence pour le monde entier. C’est vrai dans la lutherie comme dans la musique. Et, chose que tout le monde ne remarque pas, cette identité se fait sentir bien au-delà de la musique traditionnelle : on ne joue pas et on n’apprécie pas les mêmes sons de guitare électrique en Bretagne (à laquelle se joignent l’Irlande et l’Ecosse) qu’à Nice ou à Bordeaux.
Revenons 1000 ans en arrière. On est dans la situation exactement inverse. Les Bretons vivent à 99% dans une culture bretonne omniprésente qui n’accepte des influences extérieures qu’une fois mâchées et digérées. Et on voudrait nous faire croire que, par quel autre “ miracle ”, les (très) Bretons de l’époque auraient copié, eux, sans le moindre changement, auraient cloné des instruments de musique, dont la harpe.
Des esthétiques visuelles et sonores, des tendances culturelles particulières, voire spirituelles ou des superstitions, apportent inéluctablement des modifications dans la construction et la décoration.

HARPES BRITTONES, NOTRE HERITAGE :
LA HARPE S’INSTALLE DANS LE PAYSAGE MUSICAL
ET LA CIVILISATION BRITTONNE DU HAUT-MOYEN-AGE (8ème au 12ème siècle)

L’installation avérée de HARPES dans notre paysage musical, du 8ème au 12ème siècle, à l’époque où Brittons d’Armorique, de Cornouailles, du Devon, du Pays de Galles, de Cumbrie et Strathclyde (nord de l’Angleterre, sud de l’Ecosse actuelles), qui étaient une seule et même civilisation, allaient et venaient, tous les jours, sur le “ fleuve ”Manche.
Même si on voulait absolument contester la présence de l’instrument sur le sol armoricain, nous en serions, quand même, les héritiers LEGAUX (au plein sens du mot) en tant que Bretons du Sud comme du Nord, sur terre ou… sur la mer, peu importe le lieu. On pourrait, de toutes façons, se contenter de cela pour revendiquer ce patrimoine

LES TEXTES CONFIRMENT QU’IL Y A HARPES CELTIQUES

Les textes et poèmes montrent l’importance de la harpe, autant ou presque, en Bretagne que chez les autres Brittons.
Ils donnent aussi quelques modestes indications sur les particularités de nos harpes.
Dans la période plus récente, elles font parfois penser, en Galles et en Bretagne, à des harpes gothiques.
Mais, d’autres fois, on fait référence aux cordes métalliques, de bronze, de cuivre, d’airain, d’or, d’argent.
Et là, la celtitude est certitude.
“ Sa HARPE est moult riche / Les chevilles en sont d’ivoire /Et les cordes en sont d’argent… ”

LES HARPEURS BRETONS : LES TEXTES

Ce qui a été dit sur les rapports incessants entre pays celtes, montre que si la sophistication musicale passait ailleurs par la harpe, elle passait ici par la harpe.
Certains ( Perig Herbert, par ex., dans Al liamm ) ont voulu ne voir dans les “ cithara ” et “ citharista ” des textes en latin que des (joueurs de) crwth et rote ; mais, en latin, pas de nom particulier, ni pour l’une ni pour l’autre, ce qui ne facilite pas l’affaire. Cette ambiguïté leur faisait imaginer que la Bretagne aurait été, par conséquent, l’unique territoire européen sans harpe !….
Heureusement, des textes en Français, en Occitan, en Anglais, etc., confirment qu’il s’agit bien de harpes.

1. LES PLUS ANCIENS
Léon Fleuriot (Les origines de la Bretagne) : “ Ainsi Turiav dont les chants charmaient Tiernmael évêque de Dol ; ainsi du père de St Herve (lui-même resté barde dans la tradition et même patron des musiciens), Huarvion LE HARPEUR, parfait musicien, compositeur de balets et de chansons (d’après Albert Le Grand). Childebert 1er l’avait fait venir à sa cour ”.
Y.B.Piriou : “ d’après Dom .L.Gougaud (revue Pax :Music in Celtic Monasteries ,juin 1931), les principaux instruments des Celtes étaient la cithare, le tympanum, la flûte, la rotte et la HARPE SURTOUT, dont il y avait PLUSIEURS SORTES. ”-Sur quelques instruments de musique des Celtes (Léopold Vorrreiter / Ogam -Tradition Celtique / janvier 1970,déc.1973 –
2. XIème SIÈCLE
Gérard Lomenec’h (« Chantres et ménéstrels à la cour de Bretagne »)
“ ….Il existe une multitude de représentations artistiques des instruments médiévaux (enluminures, tableaux, gravures, sculptures, etc. Bien entendu la HARPE… ”.
3. XIème et XIIme siècle
Y.B.Piriou: “ Pour les arthuriens allemands Zimmer et Brugger, pour les gallois T.Stephens et W.J.Grufydd, pour le Français Joseph Bédier enfin, il est impossible d’expliquer la vogue des lais et des romans bretons aux 11ème et 12ème siècles sans tenir compte des trouvères et des HARPISTES de Bretagne continentale. C’est également l’opinion soutenue par le grand arthurien américain R.S.Loomis qui, en cette affaire, avait même tendance à accorder le rôle principal aux Bretons de Petite Bretagne ”. Dans “ Tristan et Iseult ” : “la demoiselle priend la HARPE qui de fin or estoit et atempra sa HARPE au mieux que le savoit, si que les cordes desus s’acordèrent à cel desouz, par droite acordance de musique ”.Et Tristan interpréta différents lais “sonnant de la HARPE à l’aide d’un plectre”.
Renaut : “ La HARPE qui au cou lui pend / Bien décorée de bêtes sauvages / Qui ont divers et corps et têtes… ”.
4. XIIème SIÈCLE
Gwennole Ar Menn nous indique : “ D’après les recherches de Jean Choleau, publiées dans “ Le Pays Breton ”, le clergé de Dol et de Vitré payait aux 12ème et 13ème siècle des HARPISTES pour qu’ils jouent dans les églises ”.
5. XIIème,XIIIème
Aux 12ème, 13ème: “ La littérature occitane (dont le berceau est Poitiers), fait de nombreuses allusions aux instruments de musique bretons :LA HARPA, la viola, la gale, la rauta ”. Et : “ Tu ne sais pas finir selon la modulation d’un Breton… ”. “ Contribution à une Histoire de la Littérature bretonne perdue Y.B.PIRIOU”)

Et plus général:
Joseph Loth / “ Remarques sur le Bas-Vannetais ” : “ Les vraies chansons bretonnes (sans influence française) ont dû être un genre très florissant à l’époque ou le chanteur s’accompagnait de la HARPE, par ex., qui, non seulement aidait le chanteur, mais chantait seule, ou tantôt elle accompagnait, tantôt alternait ”.
Joseph Anglade (les troubadours bretons ) : “ Littératures française et occitane médiévales abondent de citations relatives aux talents musicaux des jongleurs bretons, notamment en occitan, concernant les instruments bretons : la ARPA, la viola, etc ”.
Gérard Lomenec’h : “les anciens lais s’inscrivent dans une tradition instrumentale que semble regretter les auteurs de lais narratifs comme celui de l’épervier “ Le conte en ai ouï conter /Mais oncques n’en ouï la note /En HARPE faire ni rote ”.
“ Accompagné sur la HARPE, le lai de la grève (apprise aux harpistes de Guillaume le conquérant par la dame rouge) était une aventure extraordinaire dont Guillaume voulait conserver le souvenir. ”
“ dans le roman de Brut , Wace dit que le guerrier Balduf déguisé en jongleur breton, “ avait appris à chanter /et lais et notes, à HARPER. ”
Dans le roman de chevalerie Perceforest, un poète-HARPEUR se rend à une fête (en Bretagne) au milieu d’oiseaux artificiels d’or fin.
“Le lais de victoire (Etudes de Jean Maillard : mesire Tristrans dist bien que çou estoit li miudres et li miex HARPANS damoisele qu’il veist piecha mais et li mieus chantant (Monseigneur Tristan lui déclara que c’était la demoiselle la plus habile à la HARPE qu’il ait jamais vu et celle qui chantait le mieux ).
Pour Jean Maillard, le roman de Tristan en prose accorde une part considérable au jeu instrumental précédant, accompagnant ou suivant le chant…Les lais bretons ont été introduits sur le continent par des jongleurs purement instrumentalistes ” : ”Lais de vièles, lais de rotes / Lais de HARPE, lai de fretiax “ et dans le roman de Flamenca :“ L’us cantet cel que fes Ivans / L’us menet ARPA, l’autre viula… ”

On peut donc déja en conclure ceci:

L’image et l’écrit confirment la présence importante de harpes dans l’univers breton-britton.
Aucun aspect de la vie et de la civilisation brittone en général et bretonne en particulier n’avait la possibilité d’échapper aux normes et tendances en vigueur sur ces territoires, la harpe comme les autres.
La HARPE CELTIQUE NOUS APPARTIENT BIEN, aux Bretons, comme aux Gallois, aux Irlandais, aux Ecossais.

UN LENT DÉCLIN : 13ème, 14ème, 15ème
DE L’APPROPRIATION À LA DÉPROPRIATION

Dans la période qui suit, les traits particuliers de la civilisation brittonne ont certainement encore influé sur la lutherie comme sur les autres aspects culturels. Cependant, une plus grande proximité géographique et culturelle avec l’Europe continentale a probablement influé : les cordes de boyaux concurrencent les cordes métalliques (on a parfois parlé de harpe gaélique à cordes en métal par opposition à harpe “ galloise ” ou brittone qui serait cordée boyaux : les textes anciens montrent que c’est une erreur, la présence de cordes métalliques est avérée chez les Brittons.
A ce moment, les harpes brittonnes ont pu se décliner de manière intermédiaire entre les deux modèles principaux, mais la Bretagne a pu aussi conserver des modèles plus anciens (comme l’influence romane se voit encore quelque peu jusque dans la construction de maisons aujourd’hui ! ).
Quand les liens directs entre les deux Bretagnes ont commencé à se distendre, on peut estimer que les harpes de Bretagne (en tous cas celles de la partie Est ) se sont encore rapproché de leurs voisines françaises. Les différences culturelles restant cependant très importantes, il en restait certainement concernant les harpes.

Faisons le tour de ce qu’on sait de la HARPE en Bretagne aux 13ème, 14ème et 15ème siècles.
Dans cette période où elle semble ici commencer à être moins centrale, où les souverains et l’aristocratie se francisent inéluctablement, on peut assez bien démontrer que des spécificités bretonnes, dans le jeu, la lutherie ou la déco, s’appliquent toujours à la HARPE, même si elles commencent à s’atténuer, ce que signifie, très simplement, la qualifier de “ celtique ” ou de “ bretonne ”.
Dans notre pays, comme dans les autres pays celtes, la musique était, à des degrés divers, selon les époques, les lieux, à cheval sur une musique relativement celtique et la musique jouée plus internationalement en Europe à l’époque. Un peu comme aujourd’hui, comme toujours, le métissage était à géométrie variable, du plus européen banal et standard au plus indigène et différent. Déterminer les degrés, les proportions de ce métissage est hors d’atteinte. Savoir qu’une partie de la musique jouée en Bretagne empruntait davantage au répertoire celtique qu’au répertoire européen “ normal ” est une lapalissade.

Pour étayer mes propos, quelques autres citations.
Jean Maillard “ Mélanges Foulon ” :
“ si cum sunt cil Bretun de tel fait custumer ” est-il dit dans le Roman du Roi Horn .
“ il y a parenté indiscutable entre les formules répétitives quasi litaniques des rares lais celtiques qui nous sont parvenus et que les quelques interprètes actuels du Nord Ouest de l’Ecosse transmettent miraculeusement et ces lais médiévaux anonymes. ”
Y.B.Piriou : “ Non sabs finir /Al meu albir /A tempradura de Breton ”
(Tu ne sais pas finir ,à mon avis, selon la modulation d’un Breton) reproche à son jongleur maladroit le poète Guiraut de Cabrera . Et celui-ci , l’auteur espagnol du Libro de Aleixandre (13ème) écrit :
“ Par leur art les Bretons valoir se font ”.
Y.B.Piriou : “ …l’influence des trouvères bretons se prolongea longtemps outre-Manche.
Fin 14ème, Geoffrey Chaucer s’en recommande encore dans le Lay of Sir Orpheo, dont le prologue fournit des détails précieux… :
“ The Brytans, as the boke seys / Off diverse thingys thei made leys / Some thei made of HARPYNGYS / And some of other diverse thyngys / Some of werre and som of wo /… ”
(Les Bretons, comme le disent les livres, faisaient leurs lais de diverses choses. Ils en faisaient certains comme compositions pour la HARPE, et certains d’autres différentes choses…Parmi eux se trouve le sire Orfeo. Il était un noble roi qui aimait la joie et la HARPE…).
Dans le prologue de “ Franklin’s tale,Chaucer : “ Ces anciens gentils Bretons…chantaient ces lais accompagnés de leurs instruments… ”(et il est prouvé qu’il s’agit des Bretons armoricains).
Mickael C.E.Jones (professor of Medieval History, Nottingham) a trouvé mention dans les archives départementales d’Ille-et-Vilaine (1F1113) des fragments de la comptabilité, pour 1433-1434, du comte de Montfort (héritier du duché). Ils comprennent le paiement de 30s pour l’achat de cordes de harpe.

16ème ET 17ème SIÈCLES : HYPOTHÈSES

UN LONG SOMMEIL ?

Apparemment ou probablement. Avant d’en être certain, mieux vaut envisager toutes les hypothèses.
En effet, nous parlons de la longue agonie qui s’étirerait, selon des présomptions très optimistes, jusqu’à la fin du 17ème siècle.
Comme chacun sait, on n’a jamais arrêté de jouer de la harpe en Bretagne, comme dans le reste de l’Europe. Peut-on démontrer que le dernier harpiste, voire le dernier luthier montrant quelque sensibilité bretonne est mort à la fin du 15ème siècle ? Non.
Deux éléments pourraient donner du crédit à un prolongement marginal au 16ème, voire au 17ème.
Le premier, c’est que les relations avec Galles et Cornouailles n’ont pas cessé. Le second est que la tradition lettrée bretonnante (non-populaire) perdure plus longtemps qu’on le croit souvent, et sûrement jusqu’au milieu du 17ème siècle (cf. citations qui suivent).
C’est vrai qu’on ne peut pas le démontrer concrètement mais : il serait en fait étonnant que la harpe, continuant à être jouée dans les classes dirigeantes européennes, elle serait entièrement abandonnée, bizarrement, par ceux qui perpétuent une tradition bardique… Il n’est donc pas insensé de penser que quelques rares bardes aient continué à utiliser la harpe, en concurrence avec d’autres instruments.
Un jour, peut-être, un chercheur nous donnera la réponse définitive à cette hypothèse.

CLASSE DE LETTRÉS ET BARDES BRETONS JUSQU’A LA FIN DU 17ème SIÈCLE

“ Jusqu’en 1650, une classe de bardes lettrés continuent encore la vieille versification savante ” (Essais historiques sur les bardes -Abbé de la Rue / Caen 1834- ).
Comme l’indique Yann-Ber Piriou, le système de rimes internes typique à la poésie celtique savante, qui a perduré particulièrement en Galles, est attesté en Bretagne jusqu’au 17ème (pour ma part, j’estime que les tendances à l’origine de ces règles astreignantes continuent à exister intuitivement dans la poésie populaire). Pour tous les spécialistes, ceci prouve le maintien d’une classe de bardes bretonnants lettrés. Ils s’accompagnaient évidemment d’instruments de musique.
Des textes ne citent pas la harpe ; probablement une simple malchance, puisqu’elle est jouée dans tous les châteaux et manoirs d’Europe (mais c’est loin d’être l’unique instrument à l’époque)
Mais sa persistance dans d’autres textes laisse penser qu’elle n’avait perdu que sa place privilégiée :
Mirouer de la mort ”(Moyen-Breton),
“ ..Te so hevel hogos, dez nos ouz un rosenn… (Tu es comme la rose la nuit ou à l’éveil…
Yoa hag ebat dispar eo clevet ho HARPOU ” ( Tes HARPES sont, à l’oreille, joie et plaisir sans pareil )

DES HARPES SOUS INFLUENCE CELTIQUE DANS TOUTE L’EUROPE

Denise Mégevand fait remarquer, qu’au 17ème, la harpe irlandaise était connue dans le royaume de France, que son influence était souvent visible dans la colonne très incurvée de nombreuses harpes, et qu’  » il y a deux sortes de harpes : les unes sont irlandaises, les autres sont françaises ; les premières ont leurs cordes en laiton, les secondes en boyau de brebis ” (MICHEL PRAETORIUS 1619 Syntagma Musicum).

Ceci pour dire : la Bretagne était en Europe, ou je me trompe ? Des harpes dites irlandaises, plus proprement appelées celtiques, ou des harpes directement et indirectement sous leur influence, étaient donc utilisées a priori par des Irlandais ou cousins  » en
tournée ”.

ON NE PEUT RIEN AFFIRMER SUR CETTE PÉRIODE (aujourd’hui en tout cas)

Qu’il pouvait y avoir, même light ou homéopathique, une différence bretonne encore perceptible au connaisseur ?
Les derniers battements de cœur de la harpe celtique chez les lettrés bretonnants, ou au contraire chez quelques mendiants, aux marges de la vie sociale bretonne ?
Plus qu’un souvenir ?
Encore au 18ème siècle, dans la langue populaire, le proverbe cité dans le dictionnaire françois-celtique du père Grégoire de Rostrenen (1732) :
“ …goude AN TELENN E TEU AR REBED ” (après la HARPE vient le violon, on va de plaisir en plaisir, l’amour suit la bonne chère).

LA DISPARITION

Sur la fin probable de la harpe bretonne, mon père et moi-même la situons vers la fin de l’Indépendance, quand l’influence française sur l’aristocratie devenait écrasante, mais c’est plutôt symbolique. Ce qui vient d’être dit laisse des fenêtres de recherches qui peuvent aller, pour les plus optimistes, jusqu’au début du 18ème.

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Posté : 25/06/2007 8:21 pm

 

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