CELTES AUJOURD’HUI,
Kelted hiziv, Celtiaid heddiw,
Ceilteach an-diugh, Ceiltigh inniu:
Commençons par les langues
La traduction dans les quatre principales langues celtiques montre à la fois différences et cousinage évident, exactement comme vous compareriez l’équivalent en langues romanes. Sans perdre de vue que des variétés dialectales montrent souvent des ressemblances encore plus grandes que les formes officielles et standardisées. Par exemple, le breton officiel dit enez pour île, l’irlandais dit inis. Mais, en Bretagne centrale et sud, nous disons bien inis.
Le breton officiel dit Amzer, le gaélique Aimsir. Mais le breton vannetais dit Amzir. Leun est le breton officiel pour plein, le gaélique dit Lán. Mais le breton local dit aussi Lan. On trouve des tonnes de cas similaires. Pour la hauteur, l’irlandais officiel dit Cnoc, quand le Donegal dit Croc. En breton, nous avons aussi les deux formes Kenec’h et Krec’h.
Les orthographes donnent aussi l’impression de différences: elles ne sont que des conventions arbitraires, voire provisoires. D’autres différences apparentes n’existent qu’à travers les différents cas des déclinaisons gaéliques. Ti en breton devient en irlandais teach ou tí. Yann en breton devient Sean en gaélique, sauf que dans un autre cas, Sean devient Ian ou Iain. Même chose pour le coude : en breton ilin, en gaélique écossais uileann, mais uilinn au génitif.
Des quantités de cas montrent que le gaélique est moins différent du breton qu’on ne le croit. Nous avons au minimum 3000 mots usuels communs (un premier regard dans un dictionnaire en montre beaucoup d’exemples).
La famille des langues celtiques est comparable à celle des langues latines.
Un francophone comprend partiellement le latin, sans l’avoir étudié, comme il comprend à moitié un Italien. Je comprends de la même façon le celtique de l’Antiquité (terme que je prends la liberté de préférer à Proto-histoire).
On constate bien une filiation. Et on entend dire tous les jours maladroitement (remarque à caractère ethnique) « nous, nation latine » par opposition à « eux les Anglo-saxons ». C’est particulièrement choquant en Bretagne…Et choquant que ça ne choque pas.
Les langues celtiques partagent des milliers de mots usuels (25 à 50% du vocabulaire) auxquels s’ajoutent partout des mots anglais, français, latins. Anecdote : il n’est pas rare qu’un mot gaélique ressemble davantage au français que son équivalent breton.
Les différences existent (sinon on ne parlerait pas de langues au pluriel), mais les syntaxes et grammaires sont assez proches, distinguant cette famille des autres langues indo-européennes.
La poule et l’œuf : les langues sont le produit de formes de pensée, et réciproquement.
Quand il parle breton, la pensée d’un individu est orientée par une pensée bretonne. Et on peut le dire plus largement pour la pensée et les langues celtiques : des concepts différents, parfois moins ambigus (ex. les identités), des phrases, dont l’ordre est variable, où, le plus souvent, le sujet s’oublie au profit de l’action, la subordination de l’individu au profit du collectif, l’avoir dominé par l’être, le masculin un peu moins le chef (DEN), l’initiale inconstante, les couleurs perçues autrement, le genre pouvant se trouver inversé par rapport au français.
Nous parlons, écrivons, au sein d’une famille de langues et de culture où tout est mouvant, comme l’eau, la vie et la réalité.
La géographie
Il faut de la chance pour entendre ces langues. Mais (à part les malchanceux malvoyants) on a aussi des yeux pour voir.
Ici, mon premier album (1964), avec la nouvelle pochette que j’ai dessinée en 1966. Celle-ci intègre la carte des six nations celtophones.
On contemple d’abord un archipel d’îles et presqu’îles.
Ses habitants sont, avant tout, baignés dans ces épousailles terre-mer (climat, activités, gestes, alimentation), l’océan et le sol hercynien créant paysages et constructions. S’agissant de géographie ou d’habitat, qui ne voit pas cette unité …et qui ne voit pas la disparité du monde dit latin (avec ou sans guillemets), de la Wallonie à la Sicile ?
L’habitat
Petite réflexion sur l’habitat: mon étonnement (pas tant que ça) de n’avoir jamais trouvé aucune statistique scientifique sur les types de maisons dans les six pays. Comment expliquer cet oubli significatif, tenant de la psycho et de l’éducation ? Et un nombre restreint d’architectes semble avoir remarqué que la maison dite bretonne, la plus courante et caractéristique (avec ses cheminées en pignons et faitage, aux pignons aveugles ou semi-aveugles, comme l’arrière) doit être plus justement qualifiée de celtique. En majorité absolue en Ecosse et Bretagne, relative en Galles et Irlande, la maison celtique est plus souvent blanche (Ouest Irlande, Ouest Ecosse, Ouest et Sud Bretagne), sauf des couleurs diversifiées localement, ou en pierres apparentes (côte Nord et intérieur Bretagne, Est et intérieur Ecosse, Est et intérieur Irlande. Et, pour parfaire le tout, on voit apparaitre davantage de maisons ocre en Est Bretagne, Est Irlande, Est Ecosse (à vérifier pour Galles).
On trouve bien difficilement des publications qui s’y intéressent. Ce fait interpelle aussi.
Resserrer nos liens
C’est aujourd’hui qu’il est indispensable de resserrer les liens, aussi bien pour la culture que pour l’économie.
Nations celtiques modernes, au Nord-ouest européen, nous partageons une grande partie de ce qui ne vient pas des imprégnations anglaise et française. Il est hélas incontestable que ces fortes influences gomment, en grande partie, l’originalité de nos pays sur le plan culturel. Que ce qu’il en reste soit le grand trésor à sauvegarder, c’est pour moi une évidence depuis toujours.
Cette évidence n’est pas comprise par certains : je suppose que cela ébranle de confortables positions établies, philosophiques et politiques, ou, jusqu’à un certain point, scientifiques. Les remises en causes, après des années d’éducation, de formation, de reconnaissance, sont difficiles à assumer.
Cette culture bretonne, ces cultures celtiques, il ne s’agit pas seulement d’un trésor pour nos héritiers directs, c’est le patrimoine de toute l’humanité. Ce n’est pas une relique, mais un potentiel créatif infini. Il englobe tous les domaines (philosophie et science comprises).
Paris (ou les divers pouvoirs et réflexes français) avait un projet qui détruisait une part du patrimoine et du potentiel de l’humanité, la frustrer de cette richesse. Après tant « d’insistance », l’état français a dû accepter que puissent être prodigués des soins palliatifs. Cela reste encore le cas si on regarde les choses de manière bien objective et réaliste. Est-ce que les multiples problèmes, auxquels nous avons à faire face ensemble, ne vont pas faire comprendre le ridicule de ne pas nous laisser vivre la Bretagne dont rêvent la majorité de ses habitants et habitantes?